IESA X Exposition : Les identités contemporaines de la Côte d'Ivoire
Huit artistes, d’horizons divers, ont exposé début juin dans l’écrin du 24 Beaubourg à Paris leurs œuvres autour du thème des « identités contemporaines ivoiriennes ».
Cette exposition est curatée par la directrice du département Afrique, Hafida Jemni Di Folco.
C'était une première et une fierté tant pour les organisateurs, laFondation BJKD, que pour les visiteurs venus voir l'exposition Identités contemporaines de la Côte d'Ivoire, qui s'est tenue au 24 Beaubourg à Paris début juin, en partenariat avec l’Ambassade de Côte d’Ivoire et l’UNESCO .
Nous avons admiré les œuvres de huit artistes ivoiriens contemporains et la quintessence de l'art ivorien que sont Aboudia, Jacobleu, Armand Boua, Obou, Alberto, Jean-Servais Somian, Lafalaise Dion ou encore David Josué, soigneusement sélectionnés par la fondation privée BJKD (Bénédicte Janine Kacou Diagou, directrice générale du groupe de bancassurance NSIA ) avec, comme interogation sous-jacente, l'exploration des identités dans un pays riche d'histoires, d'us et coutumes et en perpétuelle mutation.
Dans le mouvement global du marché de l'art actuel, il est parfois difficile de prendre le temps d'examiner en profondeur les apports des artistes dans un contexte donné. De plus en plus d'artistes africains en général, et ivoiriens de façon plus spécifique, se questionnent pour avoir une certaine visibilité à l'international. Sauf que ce sont des individualités, explique Jacobleu, tout à la fois artiste pluridisciplinaire et commissaire de l'exposition. « L'idée était de montrer aux gens les œuvres d'artistes qui travaillent sur des thématiques assez différentes et des supports variés mais qui se rejoignent sur le thème de l'identité culturelle. Nous avons également en commun cette vision contemporaine de notre art », souligne Jacobleu, dont les œuvres saturées de bleu, rouge ou jaune happent immédiatement l'œil du visiteur.
Mise en avant de la culture ivoirienne Avec Lafalaise Dion
« C'est une exposition qui offre plusieurs grilles de lecture. Le retour à l'animisme est une thématique qui revient à de nombreuses reprises, par exemple , relève Hafida Jemni Di Folco, cocommissaire et scénographe de l'exposition, et Directrice du département afrique à l'IESA. « C'est une manière de souligner l'attachement au passé, aux traditions, aux valeurs qui subsistent dans les sociétés ivoiriennes, mais avec des éléments qui révèlent également la contemporanéité des regards », appuie l'experte. « Ce qui m'a plu dans cette sélection, ce sont les signaux, qui ne sont pas présentés d'une manière frontale, mais les visiteurs peuvent les percevoir », confie-t-elle. « Mais les choses sont beaucoup plus simples dans le contexte ivoirien. Par exemple à la différence avec les arts du Bénin où les Dieux sont très représentés, ici, il est question d'animisme, de respect de l'âme, la notion de la crainte des dieux n'est pas posée. Du coup, le regard est plus apaisé », complète-t-elle.
La créatrice aux multiples talents, Lafalaise Dion, visage poupin, regard bienveillant, souligné d'un joli trait d'eye-liner noir ce jour-là, a dévoilé pour la première fois, à l'occasion de l'exposition « Identités contemporaines de la Côte d'Ivoire », ses talents d'artiste.
Et le ton est donné avec une installation en résonance avec son travail de créatrice de bijoux. Surnommée la « reine des cauris » pour son appropriation de ce coquillage à la face bombée, autrefois monnaie d'échange, Lafalaise Dion, qui doit son prénom à sa grand-mère, une femme entourée de mystères, originaire de Man, la région montagneuse de la Côte d'Ivoire, a choisi de représenter trois portraits-masques de femmes. Ce qui est assez rare pour être souligné. « Pour moi, la femme a sa place partout. En particulier dans mon travail, où je vois le cauris comme le symbole de nos ancêtres mais surtout de la femme, de la créativité et de la fertilité », dévoile la jeune femme, qui garde la tête sur les épaules bien que ses créations soient portées partout dans le monde.
Pour l'exposition au 24 Beaubourg elle a souhaité mettre en avant trois femmes fortes : « Go-Guehe », de rang royal, mais gardienne de l'histoire et de la société ; « Adjamou », au centre, joue son rôle de protectrice, admirée de tous. « Toujours dans l'optique de la protection des liens communautaires (…), elle porte le nom de son double humain, dont elle exalte et transfigure les qualités physiques et les valeurs morales. (…) La représentation tend ici davantage à matérialiser une image idéale qui acquiert une valeur d'exemplarité », souligne l'artiste dans sa présentation. « Guéhé Ponh », le troisième portrait-masque, est représenté sous une forme zoomorphe. Le message est clair : « Elle vient combattre toutes les atteintes au bien-être spirituel : détourner les mauvais esprits en les attirant vers elle. »
Obou, Gbai Obou Yves Fredy
Comme dans le travail de peintre Obou, Gbai Obou Yves Fredy, de son vrai nom, 30 ans à peine et déjà un artiste reconnu et très recherché sur le marché international de l'art contemporain. Inspiré par la culture et l'histoire du peuple dan, ce diplômé de l'École nationale des beaux-arts d'Abidjan a choisi de traiter de la condition humaine, mais avec un regard décalé. Forcément, le jeune homme, qui a été très fortement marqué par les traumatismes des différentes crises politiques, notamment celle de 2010, a décidé de faire de ces événements un laboratoire d'exploration de l'âme humaine à travers l'usage si particulier des masques dan. Mais pas seulement. L'artiste, qui vit désormais en Allemagne a très tôt développé avec d'autres camarades dits de la jeune génération sa propre vision de l'esthétique artistique dénommée le « braid art ». « Dans ses œuvres, les personnages sont chargés de symboles imposants, troublants, mais les éléments de décors autour d'eux démontrent la contemporanéité du regard », explique Hafida Jemni Di Folco, conquise par le travail de l'artiste, dont plusieurs œuvres ornent les murs de plusieurs villes du pays, notamment la capitale.
Des dynamiques de créations reconnues dans le monde
« L'intention de départ était de trouver des artistes qui ont des liens forts avec leurs racines. Cette démarche est traduite par le choix que nous avons fait d'avoir un fil conducteur, en partant des œuvres de Jacobleu, qui sont lumineuses, avec des scènes de vie qui se déroulent en extérieur, puis nous invitons les visiteurs à aller dans la maison, observer le design, avant d'entrer en profondeur jusqu'au sous-sol du 24 Beaubourg, avec les œuvres d'Alberto, Armand Boua, peintre Obou ou encore Lafalaise Dion », déroule Hafida Jemni Di Folco, responsable du département Afrique à l'IESA.
Comment évoquer les identités contemporaines de la Côte d'Ivoire sans parler d'Aboudia ? À part dans cette exposition, car ne présentant qu'une seule œuvre, l'artiste est parmi les plus bankable de la création contemporaine ivoirienne. Abdoulaye Diarrasouba, de son vrai nom, n'est pas homme à faire de grands discours, sa carrière fulgurante parle pour lui. Explosion de couleurs, jeu de formes, superposition d'objets, de dessins, street art, mais aussi sculpture, son expression picturale n'a rien à voir avec celles des autres artistes présentés, mais cet habitué des galeries new-yorkaises et européennes entend bien s'inscrire dans cette nouvelle dynamique. Cette exposition inaugurale marque l'ouverture d'un « ambitieux projet de la fondation BJKD appelé à s'inscrire dans le temps et qui donnera la possibilité aux artistes ivoiriens de rencontrer un large public et de tisser des liens avec les opérateurs de l'art contemporain français privés et publics », garantit Olga Djadji, sa présidente.
Par Viviane Forson, journaliste, Le Point